Il
y a ceux qui ont la paternité de la réforme territoriale. Et puis il y a
ses petits. Là où Fillon puis Valls ont théorisé et mis en oeuvre
l’explosion du cadre institutionnel en substituant le principe de
concurrence et de guerre économique à l’indivisibilité du peuple, Macron
s’engouffre dans la brèche pour poursuivre le travail libéral
d’atomisation engagé par les siens. Son discours de la porte de
Versailles n’a en la matière rien à envier à ceux de ses aînés.
« Je suis pour que partout, lorsqu’il
y a des métropoles qui réussissent, lorsqu’il y a ces grandes cités qui
triomphent dans la mondialisation, on puisse les aider à aller plus
loin, à conquérir , je suis pour qu’elles puissent absorber le
département pour simplifier notre structure ». Emmanuel Macron
pouvait se faire lyrique ce samedi 10 décembre, la vision qu’il livre de
la réforme territoriale n’est rien d’autre que celle de l’abandon des
territoires au règne de la concurrence libre et non faussée et de la
compétitivité : « conquérir », « absorber », « mondialisation »,
les territoires sont niés en tant que bassins de vie pour laisser le
champ libre aux émanations de la technostructure, les métropoles,
conçues comme les réceptacles géographiques contemporains pour
l’accumulation du capital. La redistribution promise pour les
territoires limitrophes n’est que fadaises dès lors qu’Emmanuel Macron
en appelle dans le même temps à mettre à terre le cadre institutionnel
de souveraineté que demeurent les départements. Le pouvoir économique
doit régner sans entraves démocratiques : pour que les métropoles de
Macron vivent, il faut que les départements meurent. Il faut que
l’économie « absorbe » la démocratie. Si une révolution est en marche,
c’est uniquement la révolution libérale qui poursuit son chemin.
Car Emmanuel Macron ne propose rien
d’autre que de prolonger la folle aventure initiée par François Fillon
et Manuel Valls. Souvenons-nous. En octobre 2008, François Fillon est le
premier ministre de Nicolas Sarkozy. Edouard Balladur est alors chargé
de présider un comité d’experts qui doit réfléchir à la «simplification des structures des collectivités territoriales».
Le rapport rendu en mars 2009 proposait notamment de réduire le nombre
de régions de 22 à 15 création, de créer 11 métropoles dont un Grand
Paris intégrant les départements limitrophes de la capitale, d’attribuer
la clause de compétence générale à l’échelon communal seul, de
supprimer des cantons…François Fillon lancera la première métropole,
celle de Nice, et en tirera une première réforme territoriale via la loi
du 16 décembre 2010 qui fusionnait notamment les conseillers généraux
et régionaux, prélude à la disparition des départements.
La feuille de route fut ensuite reprise à
la lettre par Manuel Valls qui, Premier ministre, concrétisait les
plans de son prédécesseur. Loi MAPTAM sur les métropoles, redécoupage
des régions, loi NOTRe : la carte de France se redessinait en fonction
de ses vertus économiques, les cadres territoriaux légués par la
Révolution (communes et départements) devant laisser la place à une
nouvelle organisation fondée sur les métropoles, les régions et les
intercommunalités. Bruxelles et ses commissaires pouvaient jubiler, eux
qui « recommandaient » encore en 2014 lors de l’avis rendu sur le pacte
de stabilité de «fixer un calendrier clair pour le processus [de
réforme territoriale] en cours et prendre les mesures d’ici décembre
2014 en vue d’éliminer les doublons administratifs, de faciliter les
fusions entre collectivités locales…». Il faut dire que Manuel
Valls avait de longue date intégré les consignes. Candidat, déjà, à la
primaire socialiste en juillet 2011, il proposait alors dans Libération
de « réduire nos dépenses en décentralisant davantage, en
simplifiant les structures administratives – par exemple en supprimant
les départements – et en réformant la fiscalité locale ».
Exemple de la métropole de Lyon et du
bout de département croupion du Rhône restant à l’appui, Emmanuel Macron
recycle donc aujourd’hui l’idée honteuse et confuse défendue par Manuel
Valls devant le Sénat en octobre 2014 : « faire émerger le couple régions-métropoles »
et supprimer les départements sur les aires métropolitaines, tout en
maintenant des départements de seconde zone, car affaiblis, dans les
territoires ruraux. 27 millions de nos compatriotes y vivent pourtant.
La conséquence immédiate en serait une rupture d’égalité entre les
citoyens, certains se voyant imposés, en fonction de l’endroit où ils
vivent, des cadres institutionnels à géométrie mais surtout à
compétences variables. La suite en serait la transhumance d’un flot de
réfugiés de la réforme territoriale obligés de s’exiler vers les
métropoles.
Comme l’évoque Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France insoumise, dans une tribune
publiée récemment avec notamment le sénateur Pierre-Yves Collombat,
membre fondateur de l’Association des Maires ruraux de France, « les
territoires ruraux ne sont pas des terrains vagues, à laisser mourir,
entre des métropoles uniques lieux de création de richesse. L’ensemble
du territoire est utile et nécessaire. L’essentiel des emplois de demain
ne dépendront pas de la compétitivité internationale de quelques
entreprises, mais de la dynamique économique endogène, des circuits et
des débouchés locaux et nationaux. 70% de l’investissement public civil
français est aujourd’hui le fait de collectivités territoriales
essentiellement tournées vers les marchés locaux, notamment dans le BTP.
Et les communes offrent le maillage public fin nécessaire à la
relocalisation générale des activités dans le cadre de la planification
écologique ».
Culte des métropoles, disparition des
départements, Emmanuel Macron n’a finalement pour nouveauté en matière
de réforme territoriale que le fait d’être le dernier à reprendre à son
compte la pelote libérale. La redéfinition du cadre institutionnel
répond toujours à un enjeu politique : celui d’Emmanuel Macron comme de
François Fillon et Manuel Valls avant lui est bien de soumettre la
France aux logiques de guerre économique en lui forçant à avaler la
pilule de la compétitivité et de la mise en concurrence de ses
territoires et au final de sa population. Il existe heureusement une
autre voie, nécessaire, celle d’un Avenir en commun comme le propose le
programme de la France insoumise et de son candidat Jean-Luc Mélenchon.
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