Le processus politique en cours qui conditionne les choix
électoraux de 2017 ne laisse pas, jour après jour, d’être confronté à
des « novelletés » comme on disait il y a bien longtemps. L’une des
dernières en date fut cette annonce d’une « primaire » interne à la
partie supposée relever de la « gauche gouvernementale », c’est-à-dire
du PS et de ses succursales exclusivement. Pour quelle fin ? Non,
certes, de l’emporter lors de l’élection présidentielle, avec Hollande
ou sans lui : une telle hypothèse dans les conditions actuelles de
discrédit total du gouvernement Hollande/Valls du côté de l’électorat
populaire, n’a en effet aucune chance de se matérialiser sous la forme
d’une « victoire électorale » ! Il ne s’agit en vérité pour les diverses
fractions qui se déchirent de ce côté-là de l’échiquier, que de se
préparer, pour l’avenir des dix ans à suivre, à prendre le contrôle des
restes du ci-devant « PASOK à la française » qu’est aujourd’hui devenu
le PS, de récupérer quelques dizaines de députés, de gérer encore un
fort groupe de sénateurs en place, des élus résiduels ici ou là, enfin
de « replacer » un « personnel » pléthorique, voire de pérenniser des
fondations en surcharge ou de préserver des locaux bien onéreux, à
commencer par « Solferino » !
Cela n’intéresse que secondairement les forces de gauche véritables
qui ont des tâches plus sérieuses et décisives à affronter : par exemple
se rassembler pour faire face à la menace de l’extrême-droite et du
retour de la droite traditionnelle, réconfortée après son discrédit
antérieur, par les retombées de l’épisode hollandiste complété par les
tours de valse et l’essai manqué de « macronisation » annoncée. Le plus
important est de réussir le rassemblement politique de la gauche de contestation sociale et de progrès, purgée
des visions technocratiques faussement progressistes qui l’embrument
encore : le calendrier en est fixé, les termes précisés, notamment par
le dernier congrès du Pcf. Ne reste que la concrétisation de l’élan populaire sans lequel rien de solide ne peut se profiler.
La question du choix de la candidature commune à la présidentielle va
naturellement devenir la question à résoudre la plus aigüe. Comme l’on
sait, dans ce champ, celle de Jean-Luc Mélenchon (JLM) est actée : c’est
un fait acquis et visiblement accepté dans l’opinion des français.
Donc, se prononcer sur elle, deviendra vite une décision
incontournable : je livre ici mon opinion toute personnelle, telle du
moins que je me sente en mesure de pouvoir la formuler à la fin du moins
de juin 2016.
Quand au début de l’année, fort de l’aura antérieurement acquise et
de sa réputation combative, JLM a fait part de son intention personnelle
(mais soutenue par nombre de ses amis) d’être candidat à l’élection
présidentielle, beaucoup ont mal pris la chose et rechigné à le suivre
ou même simplement à le comprendre : « Quoi, pour qui se prend-il ? »,
« Pense-t-il devenir président (ou candidat) à vie ? », « Le v’là qui se
prend pour de Gaulle ! », « Je l’avais toujours dit, il veut nous faire
un enfant dans le dos », « C’est le pire des socialistes new look », «
Depuis longtemps, il se voit le président », etc… Que n’ai-je
lu ou entendu, de la part de militants, des communistes certes, mais
aussi de beaucoup d’autres, notamment syndicalistes et, parmi tous, de
vrais combattants-résistants qui s’étaient d’ailleurs défoncés en
2011-2012 pour le soutien à la candidature de JLM lors de la précédente
élection présidentielle. Nous n’en sommes plus tout à fait à ce point
aujourd’hui, à la fin de juin, mais demeure un vieux fond de rancune
devant un geste politique qui est souvent rapporté à une supposée
entreprise de construction d’une transcendance souveraine plus
monarchique que démocratique, ou encore d’une tentative de profilage
mégalomaniaque caractéristique d’une ambition de « pouvoir personnel »
bien étrangère à la supposée « tradition républicaine française »,
laquelle serait vivace, dit-on, depuis deux siècles…
Et, si, tout au contraire, la décision de JLM n’avait été, tout compte fait, qu’un coup de génie ?
Expliquons-nous.
D’abord, n’imaginons pas que les français dans leur masse, y compris
parmi ceux qui se réfèrent explicitement à « la gauche », soient
immunisés contre la tentation de recourir au grand homme salvateur !
Tous les peuples, toutes les nations qui ont enregistré dans leur
histoire un fait ou une tradition de régicide, connaissent à
chaque moment de crise qui les affecte, un retour du refoulé d’allure
monarchomaque, cela parallèlement le plus souvent à une réaffirmation
conjointe de leur attachement de principe à la souveraineté du peuple ou
de la nation : ce fut le cas en Angleterre au moment de la
« Restauration » de 1661, puis en 1688 (cf Guizot, Histoire de la Révolution d’Angleterre dont
je conseille toujours la lecture !) ; ce fut aussi le cas de la Russie à
plusieurs reprises depuis quatre siècles, la dernière en date marquée
par l’exécution, sur décision du pouvoir bolchevik, de la famille
impériale, rejetons et héritiers potentiels compris, le tout suivi de la
longue rédemption par le biais de la dictature de Staline, « petit père
des peuples ». Mais ce fut non moins le cas tout particulièrement en
France où l’attente et le recours au « sauveur suprême » ont joué en
1799 puis 1804 et 1815 en faisant renaître la passion monarchiste
enfouie au profit de Napoléon Bonaparte ; et puis encore, de manière
caricaturale en 1851 au profit de Louis, le « neveu » nullissime,
corrompu et corrupteur, du précédent ! Exemple reprofilé mais tenu en
échec, avec la tentative de coup de force du général Boulanger, le
militaire chamarré doté d’un charisme de caporal qui bernait une partie
du corps électoral républicain ; en dernier lieu avec Pétain, victorieux
dans la défaite la plus retentissante, dont, enfant, il me fallait
apprendre à chanter (du bout des lèvres) dans la cour de l’école
primaire qu’il « était le sauveur de la France (sic) », lequel
quatre ans plus tard fut justement condamné en Haute-Cour. Et ce fut
encore la cas quand, à la suite du fameux discours de Bayeux, le RPF se
créa pour rappeler le père de la Libération, de Gaulle, au pouvoir, ce
qui fut accepté avec sa « Constitution » présidentielle par quatre
électeurs sur cinq en 1958, malgré les clameurs et manifestations
« anti-pouvoir personnel » proférées par les communistes, mais aussi en
ce temps-là, par des républicains de gauche comme Mendès-France,
Mitterrand, Monnerville et d’autres, finalement ralliés mezzo voce,
puis devenus « fans » de la Cinquième république dans le sillage de Guy
Mollet et de quelques autres moins tortueux… Bref, n’imaginons pas
qu’on n’en a jamais fini avec l’idée du recours au grand homme :
la démocratie républicaine suppose que chacun(e) s’impose de ne faire
confiance qu’au peuple en corps, ce qui relève d’une vision ascétique et
même héroïque de la souveraineté comme on le sait depuis Milton,
Montesquieu, Rousseau ou Robespierre et Saint-Just. L’idée même de
devoir son salut à un tribun, à César et même au bon dieu, me révulse
entièrement. Mais dans le cas présent, il s’agit d’autre chose !
JLM n’ignore rien de tout cela. La preuve ? Son appel, naguère, à la
venue d’une « Sixième république » instituée par une Assemblée
constituante ad hoc, élue à la proportionnelle et bannissant de ses statuts, à la fois le présidentialisme,
le « 49-3 », les cumuls de mandats, proposant la révocabilité des élus,
le référendum approbatoire, etc… s’inscrit à l’opposé de ce que nous
connaissons présentement. JLM pourrait-il être sans contradiction
celui-ci qui fait campagne pour cela et simultanément incarner cet autre
qu’on imagine et qui ferait litière de l’entreprise de subversion de
l’ordre établi, avant même que ne se soient prononcés les électeurs dont
il attend les suffrages ? A moins de déraisonner, une telle hypothèse
est au sens propre inconcevable : affichée, elle serait mortifère.
Définitivement !
Alors que cherche JLM ? Rien d’autre que de faire jouer contre l’esprit et les institutions de la Cinquième république, les mécanismes d’inspiration césaro-plébiscitaire qui
faisaient le ravissement autrefois de ses thuriféraires anciens et plus
récents : Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac …plus récemment Sarkozy
et Hollande. Devenus absurdes, malfaisants et de surcroît de moins en
moins populaires, les cadres constitutionnels de la Cinquième
république, modèle 58, révisé 62 et plusieurs fois depuis, y compris
sous la houlette conjointe du couple de cohabitation Jospin/Chirac, ont
fait leur temps, mais s’ils peuvent encore servir une fois : ne manquons
pas d’y recourir !
On me dira que je danse la palinodie. Je répondrai : je ne fais que soutenir une figure politique susceptible
de donner un nouvel élan à la nation en préconisant un changement en
profondeur, voulu par tous, de son mode d’existence politique. JLM peut
être celui qui en serait l’initiateur. Le « résistant » dont il se pare
du qualificatif aujourd’hui en tant que candidat dans ce système qu’il
veut transformer, s’engage à devenir demain le promoteur de la Sixième
république, une cause pour laquelle, personnellement, je combats depuis
des lustres… L’appel de JLM a été entendu, mieux et plus profondément
qu’on ne le pense et chacun(e) le voit ; les sondages d’opinion le
montrent ; la popularité de JLM s’affirme bien au-delà de ses soutiens
lors de l’épisode quinquennal antérieur. Et ce qui s’exprime d’esprit de résistance dans
l’opposition majoritaire à la tentative manquée de faire accepter par
les futurs et actuels salariés, la régression sociale incarnée par la
loi El Khomery, paraît déjà trouver dans l’appel de JML le début de son
pont d’ancrage plus directement politique.
Ce ne serait pas la première fois dans notre histoire qu’un système
apparemment bien en place s’effondre presque immédiatement au lendemain
d’un choix ou d’une circonstance imprévue : Napoléon III sortit
victorieux du dernier plébiscite du Second empire, moins de deux ans
avant sa propre sortie de l’histoire sur fond de défaite et par la porte
républicaine radicale ! Les caciques de la Quatrième république ont
cédé la place aux vieux renards du « pouvoir fort » rassemblés sous de
Gaulle en mettant à profit la défaite politique du colonialisme associé à
l’issue de la guerre d’Algérie. Qui nous dit que la nouvelle
conjoncture qui s’impose dans toute l’Europe à la suite du Brexit, des
effets structuraux des déplacements massifs de populations auxquels nous
assistons, des retombées de la crise financière…n’auront aucun effet
politique fondamental ? Qui pourrait prétendre qu’à la suite des divers
événements qui se produiront ici ou là en conséquence de la crise
politique actuelle, la nécessité n’imposera pas que notre pays soit
appelé à se donner un nouveau visage en prenant occasionnellement les
traits d’un leader de gauche au parcours atypique, surtout depuis 2005
et le « non » majoritairement exprimé en France face au projet de traité
constitutionnel européen ? Un « homo novus » à sa façon, mais
radicalement différent des modèles antérieurs qui entravent notre
imaginaire, qui sentent le rance ou le déjà vu, et qui corrompent notre
espérance en réduisant au répétitif et au déjà caduc nos ambitions
refondatrices du contrat social.
Si Jean-Luc Métenchon pouvait devenir cette « figura » que j’appelle
de mes vœux, je ne céderai pas ma place pour dire toute ma joie que cela
soit !
C’est pourquoi, en conclusion, je pense qu’il convient d’accélérer la
conclusion d’un accord de rassemblement à gauche toute, et même
au-delà, mais sans la présence au pilotage de ceux qui ont tout
entrepris depuis presque cinq ans pour en faire capoter la perspective.
source :
source :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire