mercredi 6 juillet 2016

Soutien à JLM de l'historien communiste Claude Mazauric

Le processus politique en cours qui conditionne les choix électoraux de 2017 ne laisse pas, jour après jour, d’être confronté à des « novelletés » comme on disait il y a bien longtemps. L’une des dernières en date fut cette annonce d’une « primaire » interne à la partie supposée relever de la « gauche gouvernementale », c’est-à-dire du PS et de ses succursales exclusivement. Pour quelle fin ?  Non, certes, de l’emporter lors de l’élection présidentielle, avec Hollande ou sans lui : une telle hypothèse dans les conditions actuelles de discrédit total du gouvernement Hollande/Valls du côté de l’électorat populaire, n’a en effet aucune chance de se matérialiser sous la forme d’une « victoire électorale » ! Il ne s’agit en vérité pour les diverses fractions qui se déchirent de ce côté-là de l’échiquier, que de se préparer, pour l’avenir des dix ans à suivre, à prendre le contrôle des restes du ci-devant « PASOK à la française » qu’est aujourd’hui devenu le PS, de récupérer quelques dizaines de députés, de gérer encore un fort groupe de sénateurs en place, des élus résiduels ici ou là, enfin de « replacer » un « personnel » pléthorique, voire de pérenniser des fondations en surcharge ou de préserver des locaux bien onéreux, à commencer par « Solferino » !

Cela n’intéresse que secondairement les forces de gauche véritables qui ont des tâches plus sérieuses et décisives à affronter : par exemple se rassembler pour faire face à la menace de l’extrême-droite et du retour de la droite traditionnelle, réconfortée après son discrédit antérieur, par les retombées de l’épisode hollandiste complété par les tours de valse et l’essai manqué de « macronisation » annoncée. Le plus important est de réussir le rassemblement politique de la gauche de contestation sociale et de progrès, purgée des visions technocratiques faussement progressistes qui l’embrument encore : le calendrier en est fixé, les termes précisés, notamment par le dernier congrès du Pcf. Ne reste que la concrétisation de l’élan populaire sans lequel rien de solide ne peut se profiler.
La question du choix de la candidature commune à la présidentielle va naturellement devenir la question à résoudre la plus aigüe. Comme l’on sait, dans ce champ, celle de Jean-Luc Mélenchon (JLM) est actée : c’est un fait acquis et visiblement accepté dans l’opinion des français. Donc, se prononcer sur elle, deviendra vite une décision incontournable : je livre ici mon opinion toute personnelle, telle du moins que je me sente en mesure de pouvoir la formuler à la fin du moins de juin 2016.
Quand au début de l’année, fort de l’aura antérieurement acquise et de sa réputation combative, JLM a fait part de son intention personnelle (mais soutenue par nombre de ses amis) d’être candidat à l’élection présidentielle, beaucoup ont mal pris la chose et rechigné à le suivre ou même simplement à le comprendre : « Quoi, pour qui se prend-il ? », « Pense-t-il devenir président (ou candidat) à vie ? », « Le v’là qui se prend pour de Gaulle ! », « Je l’avais toujours dit, il veut nous faire un enfant dans le dos », « C’est le pire des socialistes new look », «  Depuis longtemps, il se voit le président », etc… Que n’ai-je lu ou entendu, de la part de militants, des communistes certes, mais aussi de beaucoup d’autres, notamment syndicalistes et, parmi tous, de vrais combattants-résistants qui s’étaient d’ailleurs défoncés en 2011-2012 pour le soutien à la candidature de JLM lors de la précédente élection présidentielle. Nous n’en sommes plus tout à fait à ce point aujourd’hui, à la fin de juin, mais demeure un vieux fond de rancune devant un geste politique qui est souvent rapporté à une supposée entreprise de construction d’une transcendance souveraine plus monarchique que démocratique, ou encore d’une tentative de profilage mégalomaniaque caractéristique d’une ambition de « pouvoir personnel » bien étrangère à la supposée « tradition républicaine française », laquelle serait vivace, dit-on, depuis deux siècles…
Et, si, tout au contraire, la décision de JLM n’avait été, tout compte fait, qu’un coup de génie ? 
Expliquons-nous.
D’abord, n’imaginons pas que les français dans leur masse, y compris parmi ceux qui se réfèrent explicitement à « la gauche », soient immunisés contre la tentation de recourir au grand homme salvateur ! Tous les peuples, toutes les nations qui ont enregistré dans leur histoire un fait ou une tradition de régicide, connaissent à chaque moment de crise qui les affecte, un retour du refoulé d’allure monarchomaque, cela parallèlement le plus souvent à une réaffirmation conjointe de leur attachement de principe à la souveraineté du peuple ou de la nation : ce fut le cas en Angleterre au moment de la « Restauration » de 1661, puis en 1688 (cf Guizot, Histoire de la Révolution d’Angleterre dont je conseille toujours la lecture !) ; ce fut aussi le cas de la Russie à plusieurs reprises depuis quatre siècles, la dernière en date marquée par l’exécution, sur décision du pouvoir bolchevik, de la famille impériale, rejetons et héritiers potentiels compris, le tout suivi de la longue rédemption par le biais de la dictature de Staline, « petit père des peuples ». Mais ce fut non moins le cas tout particulièrement en France où l’attente et le recours au « sauveur suprême » ont joué en 1799 puis 1804 et 1815 en faisant renaître la passion monarchiste enfouie au profit de Napoléon Bonaparte ; et puis encore, de manière caricaturale en 1851 au profit de Louis, le « neveu » nullissime, corrompu et corrupteur, du précédent !  Exemple reprofilé mais tenu en échec, avec la tentative de coup de force du  général Boulanger, le militaire chamarré doté d’un charisme de caporal qui bernait une partie du corps électoral républicain ; en dernier lieu avec Pétain, victorieux dans la défaite la plus retentissante, dont, enfant, il me fallait apprendre à chanter (du bout des lèvres) dans la cour de l’école primaire qu’il « était le sauveur de la France (sic) »,  lequel quatre ans plus tard fut justement condamné en Haute-Cour. Et ce fut encore la cas quand, à la suite du fameux discours de Bayeux, le RPF  se créa pour rappeler le père de la Libération, de Gaulle, au pouvoir, ce qui fut accepté avec sa « Constitution » présidentielle par quatre électeurs sur cinq en 1958, malgré les clameurs et manifestations « anti-pouvoir personnel » proférées par les communistes, mais aussi en ce temps-là, par des républicains de gauche comme Mendès-France, Mitterrand, Monnerville et d’autres, finalement ralliés mezzo voce, puis devenus « fans » de la Cinquième république dans le sillage de Guy Mollet et de quelques autres moins tortueux… Bref, n’imaginons pas qu’on n’en a jamais fini avec l’idée du recours au grand homme : la démocratie républicaine suppose que chacun(e) s’impose de ne faire confiance qu’au peuple en corps, ce qui relève d’une vision ascétique et même héroïque de la souveraineté comme on le sait depuis Milton, Montesquieu, Rousseau ou Robespierre et Saint-Just. L’idée même de devoir son salut à un tribun, à César et même au bon dieu, me révulse entièrement. Mais dans le cas présent, il s’agit d’autre chose !
JLM n’ignore rien de tout cela. La preuve ? Son appel, naguère, à la venue d’une « Sixième république » instituée par une Assemblée constituante ad hoc, élue à la proportionnelle et bannissant de ses statuts, à la fois le présidentialisme, le « 49-3 », les cumuls de mandats, proposant la révocabilité des élus, le référendum approbatoire, etc… s’inscrit à l’opposé de ce que nous connaissons présentement. JLM pourrait-il être sans contradiction celui-ci qui fait campagne pour cela et simultanément incarner cet autre qu’on imagine et qui ferait litière de l’entreprise de subversion de l’ordre établi, avant même que ne se soient prononcés les électeurs dont il attend les suffrages ? A moins de déraisonner, une telle hypothèse est au sens propre inconcevable : affichée, elle serait mortifère. Définitivement !
Alors que cherche JLM ? Rien d’autre que de faire jouer contre l’esprit et les institutions de la Cinquième républiqueles mécanismes d’inspiration césaro-plébiscitaire qui faisaient le ravissement autrefois de ses thuriféraires anciens et plus récents : Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac …plus récemment Sarkozy et Hollande. Devenus absurdes, malfaisants et de surcroît de moins en moins populaires, les cadres constitutionnels de la Cinquième république, modèle 58, révisé 62 et plusieurs fois depuis, y compris sous la houlette conjointe du couple de cohabitation Jospin/Chirac, ont fait leur temps, mais s’ils peuvent encore servir une fois : ne manquons pas d’y recourir !
On me dira que je danse la palinodie. Je répondrai : je ne fais que soutenir une figure politique susceptible de donner un nouvel élan à la nation en préconisant un changement en profondeur, voulu par tous, de son mode d’existence politique. JLM  peut être celui qui en serait l’initiateur. Le « résistant » dont il se pare du qualificatif aujourd’hui en tant que candidat dans ce système qu’il veut transformer, s’engage à devenir demain le promoteur de la Sixième république, une cause pour laquelle, personnellement, je combats depuis des lustres… L’appel de JLM a été entendu, mieux et plus profondément qu’on ne le pense et chacun(e) le voit ; les sondages d’opinion le montrent ; la popularité de JLM s’affirme bien au-delà de ses soutiens lors de l’épisode quinquennal antérieur. Et ce qui s’exprime d’esprit de résistance dans l’opposition majoritaire à la tentative manquée de faire accepter par les futurs et actuels salariés, la régression sociale incarnée par la loi El Khomery, paraît déjà trouver dans l’appel de JML  le début de son pont d’ancrage plus directement politique.
Ce ne serait pas la première fois dans notre histoire qu’un système apparemment bien en place s’effondre presque immédiatement au lendemain d’un choix ou d’une circonstance imprévue : Napoléon III sortit victorieux du dernier plébiscite du Second empire, moins de deux ans avant sa propre sortie de l’histoire sur fond de défaite et par la porte républicaine radicale ! Les caciques de la Quatrième république ont cédé la place aux vieux renards du « pouvoir fort » rassemblés sous de Gaulle en mettant à profit la défaite politique du colonialisme associé à l’issue de la guerre d’Algérie.  Qui nous dit que la nouvelle conjoncture qui s’impose dans toute l’Europe à la suite du Brexit, des effets structuraux des déplacements massifs de populations auxquels nous assistons, des retombées de la crise financière…n’auront aucun effet politique fondamental ? Qui pourrait prétendre qu’à la suite des divers événements qui se produiront ici ou là en conséquence de la crise politique actuelle, la nécessité n’imposera pas que notre pays soit appelé à se donner un nouveau visage en prenant occasionnellement les traits d’un leader de gauche au parcours atypique, surtout depuis 2005 et le « non » majoritairement exprimé en France face au projet de traité constitutionnel européen ? Un « homo novus » à sa façon, mais radicalement différent des modèles antérieurs qui entravent notre imaginaire, qui sentent le rance ou le déjà vu, et qui corrompent notre espérance en réduisant au répétitif et au déjà caduc nos ambitions refondatrices du contrat social.
Si Jean-Luc Métenchon pouvait devenir cette « figura » que j’appelle de mes vœux, je ne céderai pas ma place pour dire toute ma joie que cela soit !
C’est pourquoi, en conclusion, je pense qu’il convient d’accélérer la conclusion d’un accord de rassemblement à gauche toute, et même au-delà, mais sans la présence au pilotage de ceux qui ont tout entrepris depuis presque cinq ans pour en faire capoter la perspective.

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