Le Grand Paris Express prévoit à l’horizon 2030 de doubler le réseau actuel de métro, avec environ 200 km de nouvelles lignes autour de Paris.
De vastes projets urbains se préparent autour des gares du Grand Paris Express. Un chantier colossal qui pourrait ne pas profiter à tous. Si certaines collectivités encadrent le marché, d’autres le laissent faire. Au risque d’une explosion des prix qui repoussera plus loin les familles modestes. Enquête.
Le « kilomètre 1 » du Grand Paris Express a été lancé en grande pompe, le 4 juin dernier, à Clamart (Hauts-de-Seine). Avec ballet de tractopelles, valse d’élus et… Camélia Jordana. Deux tunneliers vont plonger dans le sous-sol de cette ville des Hauts-de-Seine pour creuser une partie de cette infrastructure de transport, présentée comme le « chantier du siècle ». 200 km répartis sur quatre nouvelles lignes. 22 milliards d’investissement. 10 000 à 15 000 emplois directs par an pour bâtir « le métro le plus digital du monde ». Et en surface aussi, cela va s’agiter. De nombreux élus en profitent pour lancer de grands projets urbains autour des 68 nouvelles gares programmées, avec un risque non négligeable : faire monter les prix du foncier et de l’immobilier.
Une parodie de Paris, à la sauce Disney et couleur guimauve
C’est le cas à Clamart, où le maire UDI, Jean-Didier Berger, prévoit de bâtir, sur 2,5 hectares, des immeubles néo-haussmanniens avec mansardes, fer forgé, crépi rose, balustrades et toit en zinc. Une parodie de Paris, à la sauce Disney et couleur guimauve. « Surtout, le maire va vendre aux promoteurs une partie de la place de la gare, jusqu’ici publique, pour qu’ils fassent de l’accession à la propriété », dénonce Gérard Aubineau, élu PCF au conseil municipal. « C’est un eldorado pour les promoteurs », préviennent aussi les élus de l’association Clamart citoyenne (PG, Ensemble, EELV). Jeune professionnel de l’immobilier, le maire de droite, lui, assume. L’arrivée prochaine du Grand Paris Express doit être l’occasion, explique-t-il sur son blog, de « créer du logement mais surtout de transformer l’image de la ville et la rendre beaucoup plus attractive ». Traduction : d’« arrêter de ne faire que du logement social ».
L’édile de droite n’est pas le seul à faire une offrande aux promoteurs et à la gentrification. Au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), le maire (LR), Thierry Meignen, a lancé fin juin un projet délirant pour embourgeoiser sa ville et changer sa population.
Un « véritable Far West pour les promoteurs »
Un quartier de 720 logements serait créé à proximité d’une des deux futures gares programmées sur sa commune pour, dit-il, « attirer les Parisiens » et « ceux qui ne peuvent se loger dans la capitale ». À terme, près de 1 700 habitants pourraient emménager dans cet ensemble de 50 000 mètres carrés. Un « village dans la ville », ose le maire dans les colonnes du Parisien, avant de mettre en avant la faible proportion de HLM (6 %) et le « style ancien » de l’ensemble. « Nous avions prévu un projet à cet endroit, explique l’ancien maire PCF Didier Mignot, mais il était bien plus modeste (200 logements), et comprenait 30 % de logements sociaux. » Lui aussi déplore que sa ville soit devenue, depuis quelques mois, un « véritable Far West pour les promoteurs ». Résultat, depuis la modification du plan local d’urbanisme par la nouvelle municipalité, des agents immobiliers ratissent les zones pavillonnaires pour les informer qu’ils sont « mandatés par des promoteurs pour identifier les opportunités de vente » dans leur quartier. Lesdits promoteurs assurent vouloir « acquérir rapidement » dans cette zone, en « valorisant les biens différemment du marché résidentiel traditionnel ». En clair : vendez aux plus offrants, il y a de l’argent à se faire !
On se croirait dans le roman de Zola la Curée, qui voit Aristide Saccard monter à Paris pour tirer profit des travaux d’Haussmann. « Quand le premier réseau sera fini, alors commencera la grande danse », explique cet homme d’affaires véreux obsédé par « le flot montant de la spéculation ». La métropole parisienne du XXIe siècle sera-t-elle le Paris du second Empire ? Un espace, comme l’écrivit Zola, « haché à coup de sabre, les veines ouvertes, nourrissant cent mille terrassiers et maçons, traversé par d’admirables voies stratégiques qui mettront les forts au cœur des vieux quartiers » ? On pourrait le croire, ces derniers temps. Un jeune agent immobilier, rencontré il y a quelques semaines à Saint-Ouen, nous confiait qu’il avait acheté plusieurs appartements à Carrefour-Pleyel, à Saint-Denis, en raison du prolongement de la ligne 14 et de la construction annoncée d’une gare métropolitaine. Il attend tranquillement de récolter plusieurs fois la mise lorsque ce quartier deviendra le centre névralgique du Grand Paris.
Un film à la gloire du Grand Paris pour séduire les investisseurs
Et puis, il y a eu l’affaire, l’an dernier, des anciens studios de la SFP. Un marchand de biens a racheté ce haut lieu du cinéma et de la télévision trois fois plus cher que le prix du marché. Adossé à des investisseurs brésiliens, il espérait faire une belle plus-value grâce à cet immense espace jouxtant la future gare de Bry-Villiers-Champigny, dans le Val-de-Marne. Une formidable mobilisation du milieu du cinéma et des élus locaux a empêché pour un bon moment que ces décors de film ne se transforment en juteuse opération immobilière. Qu’en sera-t-il en 2022 ?
La construction des gares va accroître, à long terme, l’attractivité de leur quartier d’implantation, reconnaît Benoît Labat, directeur de la valorisation et du patrimoine à la Société du Grand Paris, structure publique chargée de bâtir les futures gares. Mais il nuance aussitôt : « Nous ne constatons pas d’emballement des prix des fonciers aux abords des futures gares. Bien au contraire. Les prix, en moyenne, ont plutôt baissé et le marché est atone, ce qui nous a permis d’acquérir des parcelles pour les futures gares sans trop de difficulté. » En moyenne, c’est vrai, les prix sont passés de 4 590 euros du m2 à 4 515 euros entre 2011 et 2014, analyse une note de conjecture de l’Observatoire régional du foncier (ORF), publiée fin 2015. À peine 9 quartiers, sur les 68 où s’arrêtera le supermétro, ont vu leurs prix augmenter par rapport au prix moyen du reste de leur commune. Mais c’était il y a deux ans… « Un nouveau réseau de transport n’entraîne pas automatiquement une hausse des valeurs foncières et immobilières », rappelle Martin Omhovère, chargé des études à l’ORF. Pour le chercheur, l’attractivité d’un quartier dépend d’énormément de paramètres : « La présence d’aménités, d’espaces verts, de services publics, la qualité du bâti, l’environnement ont parfois des effets plus importants que l’arrivée d’une nouvelle solution de transport… » Raison pour laquelle il ne se passera rien dans certains quartiers, prévient Vincent Renard, chercheur et spécialiste des questions foncières. « Le territoire francilien est très diversifié, et beaucoup de gares se trouvent dans des zones vides, sans activité, des lieux morts ! »
Un autre facteur va jouer aussi un rôle non négligeable : le temps. « Il faut attendre 2027 pour voir certaines gares achevées, explique Benoît Labat. Pour le grand public, comme pour les professionnels de l’immobilier, c’est très loin. Les mentalités ne changent qu’à partir du moment où les travaux démarrent réellement. » Tout va donc changer cet été. Outre le lancement officiel du chantier, la préfecture d’Île-de-France prévoit de diffuser un clip à la gloire des investissements du Grand Paris dans toutes les villes d’Île-de-France et auprès de toutes les ambassades étrangères. La hausse des prix risque donc d’être imminente. « Si les signes de reprise d’activité devaient se confirmer, la question de l’offre foncière mobilisable pour la construction se posera avec une acuité nouvelle », souligne d’ailleurs la note de conjecture de l’ORF.
Les pouvoirs publics, de leur côté, auraient dû profiter de ce grand projet pour mettre en place des outils puissants d’intervention publique, au niveau de la métropole, pour encadrer le marché foncier, souligne d’ailleurs Vincent Renard : « Des solutions existent, comme la dissociation du sol et du bâti (qui déconnecte le prix de l’immobilier du foncier, qui reste propriété publique – NDLR), les instruments législatifs aussi, mais il y a une espèce de passivité devant le principe même de la propriété publique des sols. » De même, si des ressources propres ont été allouées à la Société du Grand Paris pour construire le supermétro, celle-ci ne dispose que de peu de moyens pour mener des opérations d’aménagement et encadrer le marché immobilier. « La loi ne nous a pas donné de compétences pour cela, il revient aux communes, et aux intercommunalités franciliennes, à compter de 2017, de maîtriser leur territoire », constate Benoît Labat.
« Nous prenons très au sérieuxle risque de spéculation »
De fait, les collectivités ont des armes pour agir, et peuvent aussi s’appuyer sur l’établissement foncier d’Île-de-France pour réserver certains terrains et créer des logements abordables aux abords des gares. Mais certaines d’entre elles choisissent délibérément de laisser faire le marché, comme au Blanc-Mesnil. Elles sont soutenues par Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, qui a décidé d’arrêter de subventionner le logement social dans les villes qui en comptent déjà plus de 30 %, ce qui est le cas dans les villes de première couronne qui vont recevoir le Grand Paris Express. « Elle nous dit sans cesse qu’elle veut faire un “Grand Paris de l’innovation”. Mais l’innovation, ce serait une métropole qui résorbe les inégalités sociales et territoriales créées par le marché ! En Seine-Saint-Denis, nous avons obtenu des gares pour désenclaver de nombreux quartiers, comme à Clichy-Montfermeil, Aulnay ou Sevran-Beaudottes. Il ne faudrait pas que ce projet repousse encore plus loin les populations les plus modestes », plaide Didier Mignot, élu communiste à la région.
Située à deux stations de Clamart sur la future ligne 15 sud, la ville de Bagneux (Hauts-de-Seine) a signé, le 5 juillet, une nouvelle charte avec une trentaine de promoteurs et d’opérateurs de la construction. Le but ? Fixer un plafond moyen aux appartements vendus sur sa commune, à 4 150 euros le m2, dans un secteur situé autour des futures gares. Chaque promoteur devra proposer des formations aux futurs copropriétaires, financer des activités culturelles, respecter des exigences de qualité, avec des espaces partagés dans les immeubles, le rattachement à la géothermie, etc.
Même volontarisme du côté de Plaine Commune, qui regroupe neuf villes autour de Saint-Denis et d’Aubervilliers. « Nous prenons très au sérieux le risque de spéculation, mais nous utilisons tous les moyens possibles pour la maîtriser », explique son président, Patrick Braouezec. L’intercommunalité préempte un bien lorsque les prix de vente sont trop élevés. Elle a aussi créé une société d’économie mixte avec l’établissement foncier d’Île-de-France, la Foncière Commune, pour constituer des réserves foncières et anticiper les éventuelles hausses de prix. À l’œuvre depuis des années, cette politique produit des résultats : un programme neuf au pied de la station Front-Populaire (ligne 12), récemment inaugurée, sort de terre à 3 500 euros du m2. À Paris, à 300 mètres à peine, et sans métro à proximité, le prix monte à 8 000 euros… « Ce n’est pas un hasard, insiste Patrick Braouezec. C’est parce qu’il y a une volonté politique de Plaine Commune de lutter contre la spéculation foncière et immobilière que nous arrivons à de tels écarts. »
Le Grand Paris fera la publicité de Vinci et de sa « smart city ». Il n’y a pas que le métro qui fera une boucle autour de Paris. Mais aussi les données. Le « métrole plus digital du monde », explique la Société du Grand Paris (SGP), anticipe de nouvelles synergies entre digital et transport. Des réseaux de fibres optiques de grande capacité longeront les 200 km de voies. Au profit de qui ? En connectant logements, gares et entreprises, ces réseaux seront « le support de nouveaux services ». Pas seulement publics… La SGP cite en exemple la livraison de plats cuisinés. Les multinationales aussi sont sur les rangs. À Champs-sur-Marne, Vinci a passé un accord avec l’aménageur public pour développer un programme de 21 500 m2, où la société contrôlera tous les services urbains. Une « smart city » qui servira de vitrine mondiale pour toutesles innovations du groupe.
source : L'Humanité du 13 juillet 2016.
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